lundi 15 août 2011

André Becq de Fouquières (1874 - 1959), "touche-à-tout brillant et sympathique"

Il me fallait commencer les portraits d'élégants par André Becq de Fouquières : ce blog lui doit son nom. L'œillet blanc est en effet le "cercle très sélect de royalistes mondains" (1) qu'il fonde, au début des années 1890, sur le modèle de Jockey Club.
En 1894, André de Fouquières a vingt ans. Fils de l'homme de lettres Louis Becq de Fouquières (1831-1887), ancien élève des Jésuites de la rue de Madrid, à Paris, diplômé de l'Ecole des Langues orientales, André de Fouquières est membre de la Conférence Molé, qui prépare de jeunes étudiants - essentiellement en droit - au débat politique. Celle-ci compte, en son sein, depuis 1883, une Union Monarchiste. Après de longues années d'assoupissement, le sentiment monarchiste connaît en effet dans la jeunesse estudiantine un regain d'intérêt. Autour du jeune prétendant Philippe d'Orléans, exilé en Belgique, affectueusement surnommé "Gamelle" (2), se crée un mouvement de sympathie. Il se matérialise par l'éclosion des Jeunesses royalistes (3), dont l'Oeillet blanc est le club mondain, en charge de la propagande artistique.
"Chaque mercredi, "L'œillet blanc" se réunissait autour de la poule au pot chère à Henri IV dans un cabinet particulier du restaurant Durand qui était alors place de la Madeleine" (4), ce même cabinet particulier où le général Boulanger aurait décidé de fuir à Bruxelles, en 1889.

Candidat malheureux aux élections municipales de 1900 dans le IIIe arrondissement de Paris et aux législatives de 1902 à Bagnères-de-Bigorre, il se retire alors de la vie politique, mais conserve l'important réseau aristocratique et artistique tissé autour de l'Oeillet blanc. Il est notamment protégé par un ami de son grand'père, Eugène Aubry-Vitet, membre du service d'honneur du comte de Paris et du duc d'Orléans. C'est lui qui accompagne le jeune André de Fouquières au mariage du duc d'Orléans avec l'archiduchesse Marie-Dorothée à Vienne, en 1896, sous l'auguste regard de François-Joseph. La fille d'Eugène Aubry-Vitet, Jeanne, épouse le comte Gérard de Rohan-Chabot, en 1895. La nouvelle comtesse de Rohan-Chabot anime un brillant salon littéraire, d'âme monarchiste, autour de Jacques Bainville et Charles Maurras. Fouquières y fait ses armes, y cultive son esprit, y développe assurément son talent littéraire.
D'autres reines du grand monde protègent les premiers pas d'André de Fouquières : l'extravagante princesse Amédée de Broglie, et son inséparable amie la comtesse Blanche de Clermont-Tonnerre, la marquise Félicité de Chabrillan, etc. En 1910, son livre De l'art, de l'élégance et de la charité lui permet de s'affirmer comme l'arbitre des élégances de la Belle Epoque puis des Années Folles, incontournable invité et parrain de toutes les réceptions, courses, bal etc.
Notons, quoiqu'il s'en défende, que son frère Pierre de Fouquières, diplomate, chef-adjoint du protocole à la Belle Epoque, puis chef du protocole et introducteur des Ambassadeurs de 1920 à 1937, facilite certainement son règne mondain. La dispersion récente de ses archives, venant corroborer ses Mémoires, illustre l'extraordinaire vitalité mondaine d'André de Fouquières. Le Gotha européen, les russes blancs (Youssoupoff), les dandys et les élégants (Montesquiou, Castellane ...), les artistes les plus en vogue (Sarah Bernhardt, Marcel Pagnol...), même les plus sulfureux (Mata Hari), tous témoignent de leur fréquentation familière d'André de Fouquières. La presse alors le décrit ainsi : "André de Fouquières est un anachronisme, il représente un type de Français disparu, l’insouciant, le joyeux et le cordial, le touche-à-tout brillant et sympathique." (5) Cette vie brillante, contée avec talent dans ses recueils de souvenirs, et notamment Cinquante ans de panache, fait de ses écrits une source toujours agréable à consulter.

Vers 1910, A. de Fouquières fait vendre...
Seule une lettre malicieuse de Marcel Proust (6) éclaire une faille du personnage : "Je dis " Cher ami " en suivant les indications de votre gracieuse dédicace quoique je n'avais plus l'impression que nos relations fussent très amicales". Car là sont les limites d'André de Fouquières. Il est un élégant professionnel. Et un ami professionnel. L'élégance est son fonds de commerce, ce qui peut la rendre sinon caduque, du moins suspecte. Autour d'une réputation qu'il a lui-même construite de "prince des élégances", se joue sa carrière, de présidence de galas en courses, de chroniques mondaines en conférences et mémoires. André de Fouquières prête son nom et son image à quantité de "réclames", vantant des produits ou des gargotes. La comtesse Jean de Pange, évoquant leur rencontre en 1907, trace de lui un portrait mesuré : "Fouquières était le meneur de jeu de tous les bals. C'était une sorte de dandy raisonnable, considéré comme un arbitre mondain. Les maîtresses de maison le consultait aussi bien sur les préséances des invités que sur la tenue du buffet ou sur le programme de l'orchestre. [...] Je m'attendais à un très bel homme bien tourné avec l'allure d'un chevalier dans un habit d'une coupe impeccable. Je fus déçue de constater qu'il était petit, assez laid, que son smoking était un peu râpé et l'éternel œillet qu'il portait à la boutonnière n'ajoutait rien à sa distinction. Plus tard, dans ma vie, je suis revenue sur cette première impression. C'était au fond un excellent homme très généreux qui prenait trop au sérieux son rôle de beau." (7)



(1) Bruno Goyet, Le XVIIe siècle de Charles Maurras entre salons et bohème, Centre de Recherches historiques, 2002.
(2) Arrêté à Paris en 1890, à 21 ans, en violation des lois d'exil, Philippe d'Orléans est détenu à la Conciergerie où, face à de généreuses manifestations de sympathie,  il déclarera ne demander que "la gamelle du soldat". Anatole France utilise le terme grec ancien écuelle, τρύβλιον, "trublion", pour brocarder le prince et ses partisans : les trublions.
(3) François Callais, La Jeunesse royaliste, préfiguration de l'Action française, 1991
(4) André de Fouquières, Cinquante ans de panache, Horay 1951
(5) Le Gil Blas du 24 décembre 1910, article de Claude Berton
(6) Vente Delorme et Collin du Bocage du 25 novembre 2009. 
(7) Ctesse Jean de Pange, Comment j'ai vu 1900, Grasset, 1968

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