dimanche 14 août 2011

Le "panmuflisme" du dandy : "plus de grossièreté ou de fiel que de beauté"


J'affirmais, dans mon précédent billet, que le dandy ne me semblait pas, essentiellement, un élégant. Je puise dans un texte de Jules Claretie (1), une anecdote où le chic du dandy par excellence, le Beau Brummell (1778-1840), s'apparente davantage à de la muflerie qu'à de l'élégance. On y trouve en effet "plus de grossièreté ou de fiel que de beauté".


George Brummell (1778-1840)
"Nous imitons un peu trop Brummel (sic), qu'on trouvait charmant parce qu'il était impertinent. Une femme de bonne bourgeoisie l'invitant à dîner, le Beau Brummel répondait "Soit. J'accepte, mais à la condition que vous ne soyez pas là." Et le mot répété, commenté, passait pour souverainement élégant [...]. Gavroche, qui est bon garçon, mais qui ne mâche point ses mots, eût traité de muflerie ces façons froidement cavalières. Mais il parait que le brummelisme, pour ne pas dire comme Xavier Aubryet, le panmuflisme (2), redevient à la mode. Il est décent d'afficher une sorte de suprême dédain et d'élégance "distante". Le règne de la froideur légèrement hostile correspond à la suppression des moustaches et à l'habitude anglo-américaine de se raser le menton et les lèvres. [...] Et la mode anglo-saxonne conduit à des façons anglo-saxonnes. On est correct, soi-même; on n'est plus galant. 
Un Français d'aujourd'hui qui garde la politesse d'autrefois étonne les femmes et passe facilement pour galantin. Ne vous risquez pas à tendre la main à une voyageuse inconnue pour l'aider à descendre de wagon : elle se cramponnera à la barre de cuivre et avant de franchir le marchepied elle vous regardera d'un air courroucé. Pour qui la prenez-vous et votre politesse archaïque n'est-elle pas point l'acte d'un malotru.
La courtoisie est une vertu périmée, et plus nous irons, plus la politesse écrasée sous les automobiles deviendra quelque chose de rare, de désuet, d'historique. [...] Un homme poli date autant que l'homme sensible cher au dix-huitième siècle. C'est un ancêtre. On pourrait presque deviner l'âge d'un contemporain à la façon dont il pénètre, au théâtre, dans les rangs des fauteuils d'orchestre. S'il porte deux doigts à son chapeau, s'il salue et s'il dit "pardon", ne demandez pas son extrait de naissance, c'est un "vieux". [...] Il faut à l'esprit moderne, pour qu'il plaise, plus de grossièreté ou de fiel que de beauté."

(1) Jules Claretie, La vie à Paris 1880-1910, Ed. G. Charpentier et E. Fasquelle, 1910, p.300 et suiv. 
(2) Jules Claretie semble ici attribuer la paternité du néologisme "panmuflisme" au journaliste Xavier Aubryet (1827-1880). Il est plus souvent attribué à Gustave Flaubert (cf. Lettre du 4 juin 1872 à George Sand "Et je voudrais même y prononcer un discours, qui serait une forme de protestation contre le Panmuflisme moderne"). 

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